- Masiosarey
Les Jacarandes viennent-ils du Japon?
Les Jacarandes pourraient bien être le marronnier de la presse mexicaine! Et qui le lui reprocherait, lorsque chaque printemps la beauté de ces arbres nous laisse sans voix.
D'entrée de jeu, donc, une précision essentielle : non, le Jacaranda mimosifolia, de la famille des Bignoniaceae, n'est pas originaire du Japon... Quoique son introduction au Mexique n'en reste pas moins un beau legs de la migration et une marque d'amitié entre les deux nations.
La version la plus reprise par la presse nationale est sans doute celle de l'historien Sergio Hernandez Galindo, publiée en 2016 dans Discovery Nikkei puis en 2017 dans Arquine, qui a retracé l'histoire du premier migrant japonais au Mexique, le premier en tout cas à être registré au service de migration. Tatsugoro Matsumoto, ancien jardinier impérial, envoyé d'abord au Pérou pour y dessiner des jardins, arrive au Mexique en 1896. Installé dans la Colonia Roma, Tatsugoro Matsumoto prend racines et devient jardinier de Porfirio Díaz. En 1910, à l'occasion d'une exposition organisée par la Délégation japonaise dans le cadre des célébrations du centenaire de l'indépendance mexicaine, il installe même un jardin japonais, à côté de l'actuel musée du Chopo. Mais c'est après la Révolution qu'il aurait conseillé au président Alvaro Obregón de planter dans la ville des arbres de Jacarandas; arbres qu'il avait lui-même découvert et importé du Brésil. Et lorsqu'une décennie plus tard, le président mexicain Ortíz Rubio, impressionné par l'effet rendu par les cerisiers offerts par le maire de Tokio au gouvernement étasunien en 1912, sollicite à son tour une donation de cerisiers au gouvernement japonais, Tatsugoro Matsumoto intervient à nouveau. Consulté par le ministère des affaires extérieurs japonais sur la faisabilité de l'opération, il déconseille l'introduction de ces arbres dans la capitale mexicaine. Cela ne fait rien, la ville de Mexico aura son spectacle de fleurs printanier, avec les Jacarandas.
Une autre version attribue la paternité de l'implantation du Jacaranda à México à un célèbre mexicain, l'ingénieur Miguel Angel de Quevedo. Chilango, en 2016, rapporte que ce dernier aurait découvert le Jacaranda à Veracruz, où l'arbre était alors exploité pour son bois. Séduit, il aurait décidé d'en orner la ville de Mexico. Aucune source n'est citée pour attester de cette version. Mais, pour ceux qui seraient familiers de l'oeuvre de Miguel Angel de Quevedo*, elle n'en est pas moins plausible. Surnommé "l'apôtre des arbres", Quevedo fait ses études en France, à Bordeaux puis à Paris (INECC), où il a été très influencé par les concepteurs des Cités-Jardins et le mouvement moderne d'urbanisme. De 1900 à sa mort en 1946, il sera un ardent défenseur de la création de parcs dans les villes et de la plantation d'arbres d'ornement dans les rues afin de créer un environnement plus sain pour les habitants. En contact permanent avec Jean Claude Nicolas Forestier, directeur en son temps des parcs et jardins de la ville de Paris et fondateur de la Ligue urbaine**, il milite sans relâche pour augmenter le coefficient d'espaces libres dans la ville de Mexico. Une tâche qu'il a mené à bien lors de son passage à la Commission d'embellissement et d'amélioration de la municipalité de Mexico entre 1901 et 1903***.
Pour conclure, le quotidien Reforma apportait, dans son supplément sur la ville du 1 avril 2018, une nouvelle information : leur nombre. Un chercheur de l'Université de Stanford, Alberto Diaz-Cayeros, a en effet eu l'idée de créer un atlas des arbres de la ville de México. Et, le saviez-vous? Il y a 400 Jacarandas dans le centre historique de la ville (sur un total de 8.000 arbres).
©Masiosarey, 2018
*Eguiarte M-E., “La idea del espacio urbano en la planeación de la ciudad de México: 1900-1911” dans Collado M-C, (coord.), Miradas recurrentes. La ciudad de México en los siglos XIX y XX, UAM/Instituto Mora, t.I, 2004
**La ligue urbaine est créée en 1928 par J-N Forestier, architecte paysagiste et J. Giraudoux respectivement président et vice président, et avec comme membre fondateur R. Dautry. Sur Giraudoux et les culturalistes français voir Choay F., “Pensées sur la ville, arts de la ville” dans Agulhon M. (dir.), La ville de l’âge industriel. Le cycle haussmannien, Histoire de la France urbaine, t.IV, Paris, Le seuil, 1988.
***Quevedo M-A, “La necesidad de ligas de defensa urbana para garantizar la ejecución de los proyectos de planificación”, présentation au premier Congrès national de planification, 1927, dans Revista Obras Públicas, vol I, nº4