Camerone, la célébration vue du Mexique
Alors qu’en France de nombreux régiments fêtent la bataille de Camerone, en particulier à l’Etat Major de la Légion étrangère à Aubagne, Masiosarey a couvert la cérémonie du côté mexicain, sur le lieu de la bataille : à Camarón de Tejeda, Etat de Veracruz…

Ce dimanche 30 avril 2017, sous le soleil impitoyable de Veracruz, une cérémonie militaire célébrait la mémoire des morts mexicains et français tombés sous leurs drapeaux respectifs, 154 ans plus tôt dans ce petit village à mi-chemin entre le port de Veracruz et Córdoba. En France, la bataille de Camerone est devenue l’évènement fondateur de la Légion étrangère française, qui a choisi ce fait d’arme pour illustrer le courage de ses militaires combattant à l’étranger. Du côté mexicain, cette commémoration revêtait cette année un caractère particulier ; la municipalité de Camarón de Tejeda ayant finalement été déclarée « Héroico Municipio » par le congrès de l’Etat de Veracruz.
Petit rappel : l’intervention française au Mexique et le Second Empire 1862-1867*
Au sortir de la guerre contre les Etats-Unis de 1848, la toute jeune nation mexicaine est ébranlée : elle a perdu une large partie de son territoire, sa dette explose et son gouvernement est dépassé. La dictature (celle de Santa Ana de 1853 à 1855) est suivie d’une révolution (celle d’Ayutla en 1854) et débouche sur la rédaction et promulgation de la Constitution libérale de 1857.
Mais la décennie 1850-1860 correspond également à une étape de modernisation du pays et d’intensification de ses relations commerciales avec les Etats-Unis et surtout avec l’Europe, principalement à partir des ports de Matamoros et de Veracruz. Une période de de développement qui se distingue notamment par une admiration et une curiosité (réciproque) pour la culture française (c’est à cette époque qu’une première vague d’immigrants français gagne les côtes de Veracruz).
Pourtant, l’instabilité politique persiste et les luttes entre factions obligent le premier président élu à quitter le pays (1858). Le Mexique s’enlise alors dans une nouvelle guerre civile ; la Guerre de Réforme, qui durera 3 ans. Et les puissances européennes, préoccupées par le remboursement de la dette externe du Mexique, commencent à s’immiscer dans les affaires internes du pays.
L’arrivée de Benito Juarez à la tête du gouvernement précipite le cours de l’histoire. Car celui-ci, justement, ne reconnaît pas cette dette qui grève l’économie nationale. En juillet 1861, Benito Júarez déclare un moratoire sur les revenus des douanes, jusque-là exclusivement destinés au règlement du service de la dette extérieure. Immédiatement, la France et l’Angleterre rompent leurs relations diplomatiques avec le Mexique et signent avec l’Espagne la Convention de Londres visant à assurer la protection leurs ressortissants et à récupérer leurs capitaux. Les trois pays décident d’envoyer des contingents militaires (7.000 français, 6.000 espagnols et 700 anglais).
Si le gouvernement mexicain réussit à négocier le retrait des espagnols, il fait chou blanc avec les français. L’empereur Napoléon III a depuis un petit moment des visées sur le Mexique et projette d’y établir un protectorat. C’est ainsi que commence l’intervention française.

Le 5 mai 1862, les troupes napoléoniennes subissent un premier revers à Puebla, face aux troupes du Général Ignacio Zaragoza. Mais, dès l’année suivante, l’empereur français envoie un renfort de 30.000 hommes. Cette fois, le siège de Puebla dure deux mois et, le 17 mai 1863, la ville tombe aux mains des français qui établissent le Second Empire (1863-1867). Napoléon installe sur le trône Maximilien (frère de l’empereur Austro-hongrois François-Joseph), qui, accompagné de la belge Charlotte, débarque à Veracruz en 1864.
Deux Gestes héroïques en une seule cérémonie
La bataille de « Camerone » a lieu le 30 avril 1863, lors de la deuxième intervention, juste avant le deuxième siège de Puebla. Et c’est avant tout l’histoire d’un acte de bravoure et d’une défaite honorable, prélude à la victoire finale (quoique temporaire) des français.

Retranchés dans une auberge de l’hacienda de Camarón, Veracruz, les 60 hommes de la troisième compagnie du régiment étranger, sous les ordres du capitaine Danjou, résistèrent une journée entière aux assauts d’un contingent d’entre 1.000 et 2.000 militaires mexicains menés par le Colonel Francisco De Paula Milán, Commandant militaire de l’Etat de Veracruz.
La commémoration de cette bataille se distingue pour être la seule cérémonie où les militaires mexicains saluent aussi la mémoire des soldats français, et où les honneurs sont rendus au drapeau et à l’hymne national français. Cette cérémonie « duale » est, sans aucun doute, un acte de réconciliation. Mais elle revêt aussi une autre dimension, plus strictement historique, en confrontant deux points de vue opposés sur le même évènement.
C’est heureux pour les curieux, il existe de nombreuses sources sur cette bataille. Et dans leur grande majorité, celles-ci coïncident sur le déroulement des évènements et sur les raisons de la confrontation : un convoi d’argent et d’armes français risquait d’être intercepté par les armées des fédérés mexicains. Pour le protéger, le capitaine Danjou dirige en avant-poste sa compagnie vers le mont Chiquihuite et rencontre sur sa route le Colonel Milán et sa troupe. Les zouaves français se retranchent dans le village de Camarón (baptisé Camarón de Tejeda en 1927) où durant toute la journée du 30 avril, ils défendent leur position. La 3ème compagnie est décimée mais le convoi stratégique a pu passer.
En revanche, sur les détails et notamment sur les chiffres, la bataille mémorielle fait rage ! En comparant les deux versions officielles (Ambassade de France), l'attention du lecteur est avant tout attirée par de (petits) desaccords, sur le nombre de militaires mexicains engagés dans la bataille ou sur les pertes reportées par les deux camps. Le récit fondateur de la Légion étrangère ne laisse aucun doute : le ratio au combat était de 1 soldat français pour 40 mexicains. Et si les français ont tendance à gonfler un peu les chiffres, les mexicains quant à eux minimisent les pertes.

Au-delà des chiffres, certaines interprétations divergent également. Ainsi, d’après le Colonel Milán, la résistance des français est d’abord due à une incompréhension : ils pensaient que les mexicains faisaient partie de la « Guerilla » et donc les exécuteraient sommairement quoiqu'il advienne. Et effectivement, la lecture de l’ouvrage de Gustave Niox montre bien la piètre opinion que les français avaient de l’armée mexicaine, divisée en bandes rivales et mélangée à des bandes et milices locales, "ces bandits de profession" selon Louis Noir. Du côté français, la lecture est toute autre. C’est l’esprit de sacrifice qui préside ; l’idée du capitaine Danjou étant d’occuper le plus longtemps possible les troupes du colonel Milán afin de permettre au convoi menacé d’atteindre Orizaba.
Les deux textes soulignent enfin une manière radicalement opposée de considérer l’ennemi. Le récit attribué au Colonel Milan prend ainsi un soin particulier à évoquer les membres de la compagnie française et les noms des principaux protagonistes. Et alors que la version mexicaine met en avant la générosité du docteur Talavera à soigner les blessés français, la version française explique que la reddition n’a eu lieu que parce que les généraux mexicains s’étaient engagés sur l’honneur à prendre en charge les blessés :
« - Nous nous rendons si vous nous promettez de relever et de soigner nos blessés (…) - On ne refuse rien à des hommes comme vous ! » Répondit l’officier ».
L'ancien zouave Louis Noir, lui, reconnaît bien la valeur du « partisan hardi » mexicain, le colonel Milan qui « inspirait une grande confiance à ses soldats ». Toutefois Louis Noir conclue ce « brillant fait d’arme » en magnifiant le chiffre des victimes adverses (512 mexicains jonchaient le sol et presque toute la compagnie était décimée), participant pleinement à la Geste française.
Une cérémonie mexicaine qui associe « el extraño enemigo »
Ce 30 avril 2017, à Camarón de Tejeda, chacune de ces deux versions de l’histoire a donc été lue et partagée. Et cette année, la lecture du texte français était confiée à un ancien -quoique fort jeune- parachutiste militaire, décoré de la Croix de guerre. venu spécialement de Paris pour l’occasion.
L’autre spécificité de cette commémoration est la démultiplication des actes et des lieux d’hommages. La journée a démarré dans l’école primaire Francisco P. Milán, où les honneurs étaient rendus aux soldats mexicains. Une deuxième cérémonie a eu lieu au Mausolée français où reposent, depuis 1953, les restes des soldats de la 3ème compagnie du capitaine Danjou. Là, la Marseillaise a été interpretée par la fanfare militaire mexicaine, avant que ne soit entonné, à son tour, l’hymne de la Légion : le très exotique « Tiens, Voilà du boudin ». Le troisième temps a été celui du recueillement sur la tombe du Docteur Talavera. Enfin, le public et les officiels se sont réunis une dernière fois, au centre du village, devant le monument aux morts, dans l’attente du défilé militaire.