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Pourquoi le visage du futur Président mexicain ne s’affichera pas sur vos écrans dimanche soir

En ces temps de défiance généralisée pour la chose politique, Masiosarey fait le point sur les différentes estimations puis résultats électoraux qui se succèderont à partir de dimanche soir. Des tendances qui seront annoncées lentement… très lentement, du fait de la magnitude et de la complexité du processus.

ina.fr 1981

Depuis plusieurs mois, l’Institut National Electoral (INE) communique tous azimuts sur le fait que les premières estimations (et notamment le PREP) seront, cette année, annoncées sensiblement plus tardivement que lors des élections précédentes. Cet intervalle plus long que de coutume inquiète les autorités électorales qui voient là autant d’heures supplémentaires propices aux spéculations et aux auto-déclarations de victoire. Alors que d’autres voix, non institutionnelles celles-là, craignent des fraudes. Et, pourtant, tout est (sur le papier en tout cas) sous contrôle.

Conteo Rápido, PREP et Computos distritales : petit précis de lexicologie électorale

Avant tout, pour ce qui est des élections nationales (présidents et législateurs fédéraux)*, il est essentiel de bien distinguer trois types de « résultats » : le Conteo rápido, le PREP et les résultats officiels.

Le Conteo Rápido (Comptabilisation rapide) est une estimation statistique construite à partir des résultats obtenus dans un échantillon représentatif d’environ 7.000 bureaux de vote répartis sur tout le territoire. Une fois le dépouillement achevé dans ces « bureaux-échantillon », des copies des actes reportant les résultats sont directement transmises à un groupe de statisticiens universitaires réunis à huis-clos dans les locaux de l’INE. Lorsque ceux-ci pensent avoir suffisamment de données pour établir une projection fiable des tendances au niveau national –et s’ils estiment que la distance entre les deux premiers candidats est suffisamment claire–, ils transmettent ces chiffres au Conseiller Président de l’INE qui, à son tour, les annonce publiquement. Il s’agit donc de la toute première estimation « homologuée » et publique des résultats. Cet instrument statistique n’a toutefois aucune validité juridique.

Pour sa part, le Programme de résultats électoraux préliminaires (PREP, Programa de Resultados Electorales Preliminares, créé en 1994) agrège progressivement les résultats de tous les bureaux de vote du pays. A la différence du Conteo Rápido, il permet donc de saisir finement les tendances locales, à travers le pays. Et il s’agit, avant tout, d’un instrument de contrôle précieux pour les citoyens et pour les partis politiques, qui peuvent comparer les résultats enregistrés par le PREP avec ceux affichés sur les portes de leurs bureaux de vote, et garantir ainsi la transparence du processus. Le PREP est diffusé en direct via internet dès la clôture des scrutins et pendant 24h. Il évolue, heure après heure, à mesure que les résultats arrivent et sont intégrés, photo à l’appui mais sans plus de vérification (il ne s’agit pas d’un décompte, mais d’un simple enregistrement). Il est courant que les résultats des bureaux de vote urbains soient consignés plus rapidement que ceux des régions rurales et reculées. En cas de forte polarisation politique entre les villes et les campagnes, ce décalage est donc susceptible de biaiser provisoirement les tendances. Quoiqu’il arrive, le PREP se conclue le lundi à 18h. Il n’a pas non plus de validité juridique.

Toujours pour les élections fédérales, les seuls résultats officiels sont ceux qui résultent des comptabilisations réalisées par les autorités électorales dans chacun des 300 districts fédéraux du pays, dans le cadre des Computos distritales. A partir du mercredi postérieur à la journée électorale (dans notre cas le mercredi 4 juillet), les représentants locaux de l’INE reçoivent, vérifient et éventuellement recomptent (en cas de doutes, de résultats trop serrés ou de demandes des représentants des partis politiques) les « paquets électoraux » envoyés par tous les bureaux de vote de leur circonscription. C’est seulement sur la base de l’agrégation de toutes ces comptabilisations distritales que l’INE pourra officiellement reconnaître les vainqueurs et que le Tribunal Electoral (Tribunal Electoral del Poder Judicial de la Federación, TEPJF) leur remettra les certificats correspondants, qui leur permettront, le moment venu, de prendre leurs fonctions.

Une fois le décor planté, la question à « Mille Euros » (ou à 23.000 pesos) : quand les mexicains (et les mexicains de coeur), assis dimanche soir devant leurs téléviseurs apprendront-ils l'issue de cette élection ? Une chose est sûre, vous ne verrez pas le visage du prochain Président de la république s’afficher sur votre écran à 20h01. Toutefois, et après un petit suspens institutionnel**, vous devriez pouvoir connaître le résultat du Conteo Rápido aux alentours de 23h (sauf si coude-à-coude entre les deux premiers candidats évidemment). Pour le PREP, en revanche, il faudra être beaucoup plus patient, et attendre sans doute encore plusieurs (longues) heures avant que ce programme ne commence à être suffisamment alimenté pour avoir un quelconque intérêt (il est estimé que, dimanche à minuit, seuls 12% des résultats des bureaux de vote auront été intégrés au PREP, contre 60% en 2012. Un retard sensible par rapport aux années précédentes).

Pourquoi un tel déphasage ? Le flux d’informations sera tout d’abord ralenti par la complexité d’une élection aux multiples combinaisons, puis par une série de tentatives de rationalisation de l’organisation de l’élection, visant à simplifier et à garantir le vote.

L’introduction de bureaux de vote « uniques »

Jusqu’ici, lors d’élections générales, vous trouviez dans chaque section électorale deux types de bureaux de vote. D’un côté, le bureau de vote fédéral, placé sous la responsabilité de l’INE, recueillait les votes pour le Président de la République et les législateurs fédéraux. De l’autre, un bureau de vote local, géré par les instituts électoraux locaux (Organismes publics locaux électoraux, ou OPLE depuis 2014), centralisait les suffrages émis pour les gouverneurs, les maires et les législateurs locaux.

Relativement clair sur le papier, ce dédoublement entrainait pourtant, inévitablement, des ratés le jour des élections (des électeurs pressés ou étourdis oubliant notamment de se rendre dans un des deux bureaux), mais aussi une multiplication des coûts de matériel et de formation des citoyens appelés à intervenir le jour des élections.

La réforme de 2014 a donc ouvert la voie à une « simplification » et à une centralisation du déploiement des urnes à travers le pays. Désormais, lorsque des élections locales et fédérales se tiennent simultanément (ce qui sera le cas dans 60% des 150.000 bureaux de vote qui seront installés ce dimanche), tous les bulletins seront recueillis dans un même et seul bureau de vote : la casilla unica. Toutefois la composition et le fonctionnement de ces bureaux, eux, ne changent pas. Ce seront toujours 9 « fonctionnaires » tirés au sort parmi la population et formés par l’INE qui assureront la gestion de ce bureau de vote***. Et, non seulement, ceux-ci recueilleront les suffrages émis par jusqu'à 750 électeurs**** dans le cadre de jusqu’à 6 élections différentes (faites le caclul!), mais ils devront également, le soir venu, ouvrir toutes les urnes les unes après les autres et compter les suffrages. De nombreuses heures en perspective, souvent dans des conditions souvent peu favorables (pas d’abris pour la pluie, pas de lumière pour compter, etc…).

Coalitions, alliances, candidats indépendants plus forcément en lice... des bulletins de vote complexes

Et, en parlant de dépouillement justement, il faut souligner que cette année les bulletins sont particulièrement complexes. Car, vous l’aurez noté, il est possible –à tous les niveaux d’élections– de voter pour des candidats a) indépendants, b) représentant un seul parti, c) se postulant pour une des trois coalitions ou, encore, d) enregistrés dans le cadre d’une alliance entre partis.

Dans les deux premiers cas, le calcul est simple le candidat –et son parti– recueille automatiquement le suffrage émis à son nom. Les alliances impliquent, pour leur part, un accord préalable fixant une répartition des votes entres les partis participants (50-50%, 70-30%, 90-10%... selon les forces des différents alliés). Les voix reçues pour le candidat d’une alliance sont donc additionnées puis réparties en fonction du pourcentage préétabli.

Mais, dans le cas des coalitions, c’est une autre paire de manches. Et un autre pari : pas de répartition préétablie, mais une mesure en direct et par les urnes des forces respectives des partis participants. Le candidat présenté par une coalition apparaît ainsi plusieurs fois sur le bulletin, une fois sous chaque parti qui forme cette coalition. L’électeur a alors le choix d’établir son ticket gagnant et d’associer le candidat avec le (ou les) partis de qui il se sent le plus proche. S’il coche une seule case (son candidat avec un seul parti), son vote ira logiquement au candidat, mais aussi au seul parti sélectionné. Mais si jamais il coche deux (ou trois) cases mentionnant le même candidat, son vote devra alors être divisé entre les partis qui soutiennent ce candidat.

Et comme jusqu’ici il n’est encore pas possible de comptabiliser des « demi » ou des « tiers de vote », la comptabilisation s’avère pour le moins laborieuse. Pour faciliter la tâche aux fonctionnaires des bureaux, l’INE a donc préparé des « tapetes », des grands tapis qui seront installés au sol et sur lesquels apparaissent toutes les combinaisons possibles de vote. Chaque bulletin ouvert devra être posé sur la case de ce tapis correspondant à son cas de figure : au total, 21 combinaisons possibles pour les seules élections présidentielles ! Une fois l’urne totalement dépouillée, les bulletins de chaque combinaison seront comptés, puis les votes seront (re)répartis entre les différents partis.

Ce décompte ne changera évidemment rien à l’élection de tel ou tel candidat, mais permettra aux partis membres de toutes les coalitions de mesurer leurs forces et audiences respectives. Et cette mesure n’est pas anodine ; c’est elle qui permettra de calculer le montant des ressources publiques qui leurs seront accordées pour les prochaines années.

Votes blancs et votes nuls

Dernière particularité du bulletin pour les présidentielles de 2018 : la mention d’une candidate indépendante qui s’est entre-temps retirée de la compétition. Comme nous l’avions expliqué dans un précédent article, les bulletins n’ont pu être réimprimés faute de temps : qu’adviendra-t-il donc des votes qui seront émis pour Margarita Zavala ?

Si la seule case de cette candidate est cochée, le suffrage sera considéré comme nul. En revanche, si l’électeur choisit Margarita Zavala ET un autre candidat, le bulletin sera considéré recevable et la voix ira au second candidat. Mais, attention, si ce même électeur coche Margarita et deux (ou trois) autres candidats, son bulletin redevient nul.

Un vote est considéré nul si le choix de l’électeur n’est pas clair : plusieurs candidats cochés, un bulletin déchiré ou taché, en bref illisible, ou alors barré volontairement. Il ne s’agit donc pas d’une catégorie « postivement » définie (comme peut l’être le vote blanc en France), mais d’un ensemble de cas de figures disparates où l’opinion exprimée n’est pas évidente.

Cette année, au vu de la complexité des bulletins (mais aussi pour limiter au maximum les cas douteux d’annulation de vote par un tiers malintentionné), les autorités électorales ont élargi les critères pour que le maximum de votes « hétérodoxes » puissent être considérés comme valides. Si, par exemple, vous faites un dessin ou que vous écrivez un petit message sur votre bulletin, celui-ci devrait, en théorie, être retenu (à condition évidemment que vous ayez bien signalé le candidat de votre choix). De même, si vous ne cochez pas la case de votre candidat avec une croix, comme le voudrait le protocole, mais avec un « Si » ; ou encore si votre croix déborde sur deux cases, à condition toutefois que ces deux cases correspondent à des candidats et/ou partis membres d’une même alliance ou coalition.

Il s’agit là, expliquent les autorités, d’une position « garantiste » visant à respecter au maximum les voix des citoyens. Mais, dans la pratique, l’arbitrage se fera au cas par cas lors du dépouillement, en présence des différents représentants des partis (qui ont un simple droit de regard mais ne peuvent en aucun cas intervenir). L’INE a bien préparé un petit manuel de consultations sur le vote nul (Cuadernillo de consulta sobre los votos nulos), distribué dans tous les bureaux de vote du pays, pour aider les fonctionnaires (et in fine le président du bureau de vote) à trancher en cas de flou. Mais l’exercice risque de ne pas toujours être évident. Et d’être chronophage…

Certitude versus rapidité

Enfin, et en ce qui concerne le protocole de publication des résultats, le Tribunal électoral a, cette année, introduit deux nouveautés.

Tout d’abord, il a exigé que les fonctionnaires dépouillent toutes les urnes avant de commencer à diffuser les résultats. Auparavant, la priorité était placé sur l’urne présidentielle. Et, une fois ces premiers résultats publiés, et donc susceptibles d’être à leur tour intégrés au Conteo Rápido et au PREP, les fonctionnaires passaient à la suivante. Cette année, et en grande mesure du fait de l’introduction de la casilla unica, le Tribunal souhaite maximiser la certitude des résultats préliminaires. L’argument est qu’avec autant d’urnes réunies dans un seul bureau de vote, il est probable que des bulletins se retrouvent glissés dans les mauvaises boîtes. Au fil des dépouillements successifs, les fonctionnaires devront donc redistribuer les « bons » votes au « bon » endroit, et les résultats des différentes élections (présidentielle comprise) risquent de s’ajuster légèrement au fil de la soirée. Toutefois, principe de la course contre la montre oblige, l’INE demande que les fonctionnaires électoraux de chaque bureau de vote se distribuent en deux groupes et épluchent simultanément deux urnes, une fédérale et l’autre locale... Surtout, l’Institut a négocié que, dans les « bureaux de vote-échantillon » choisie des actes spéciaux puissent être émis plus rapidement, pour alimenter le Conteo Rápido et permettre que les premières estimations fondées soient malgré tout annoncées publiquement dans la soirée ; principalement pour couper court à toute spéculation.

Certitude toujours, ce même Tribunal électoral a également demandé que les actes des résultats des 150.000 bureaux de vote installés ce dimanche soient envoyée au PREP en format digitalisé. Une simple photo, prise au moment de l’affichage des résultats, ne suffira donc plus. Et ce (simple) détail, censé –une fois encore– garantir la précision des estimations préliminaires, va pourtant freiner un peu plus toute la machine de collecte de l’information.

La certitude et le strict respect des textes est-il plus important que le droit constitutionnel des citoyens à être informés ? Le débat est ouvert… et pour commencer au sein des autorités électorales elles-mêmes.

Voila pourquoi, dimanche soir, le visage du Président n’apparaîtra pas sur vos écrans et télévision (et aussi parce qu’il ne s’agit pas du tout d’une tradition mexicaine !). Le suspens durera encore un peu avant que les estimations ne s’affinent. Quant aux résultats officiels, il faudra probablement attendre une semaine encore (les autorités électorales disposent d’une semaine pour publier les résultats définitifs de l’élection). En attendant, il n’est pas à écarter que dimanche soir, tous au presque se déclarent vainqueurs... car il semblerait qu’il s’agisse là d’une nouvelle « tradition » mexicaine.

Surtout, vous l’aurez compris, les grands héros de cette journée électorale seront tous les fonctionnaires électoraux, professionnels et volontaires, qui après une longue journée dans les bureaux de vote et sur le terrain, enchaîneront sur une soirée encore plus longue de dépouillement et de calculs, sous une pression sans précédent.

Si vous voulez en savoir plus sur le protocole que devront suivre ces fonctionnaires électoraux ce dimanche dès 7h du matin et jusqu’à l’aube de lundi, nous vous recommandons de vous pencher sur le Manuel de la et du fonctionnaire de bureau de vote (Manual de la y el Funcionario de Casilla).

©Masiosarey, 2018

 

* Chaque Etat a la responsabilité d’organiser son propre système d’estimation des résultats : Conteo Rápido et PREP. Le même exercice devrait donc se répéter au niveau local dans les 30 états qui renouvellent leurs élites politiques.

** Pour en savoir plus sur cet épisode : “Tribunal Electoral avala conteo rápido; INE dará tendencias de resultados antes de las 11 de la noche,” Animal Politico 23/03/2018

*** « fonctionnaire électoral » est la traduction du terme mexicain « funcionario electoral » qui désigne , non pas un membre de l’administration électorale, mais le citoyen mexicain tiré au sort sur les listes électorales pour « tenir » un bureau de vote, ayant accepté la charge et ayant été formé par l’INE pour se faire. Il s’agit d’un engagement citoyen et non rémunéré. Ces « funcionarios electorales » n’ont donc rien à voir avec les fonctionnaires électoraux professionnels, employés par les instituts électoraux nationales et locaux.

Chaque bureau de vote est "tenu" par neuf "fonctionnaires électoraux" : un président, deux secrétaires, trois scrutateurs et trois supléents.

*** Chaque bureau de vote ne peut en théorie recevoir plus de 750 électeurs. Au dela de ce nombre, un autre bureau est ouvert.

Pour en savoir plus sur le PREP et le Conteo Rápido...

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