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Expérimentation musicale et exploration urbaine. Le « Festival erratique d’arts aventuriers »


C’est un mélange détonnant que le festival Derrepente Enderredor. Sous-titrée « Festival erratique d’arts aventuriers », la cinquième édition, qui a rassemblé plus de soixante-dix artistes de dix pays, avait lieu du 3 au 6 mai dans différents lieux de la capitale mexicaine. Concerts, expositions et projections de cinéma expérimental : une programmation éclectique dans des espaces inédits pour faire découvrir aux habitants non seulement des expressions artistiques hors-cadres, mais aussi leur ville sous un jour nouveau. Et quel meilleur biais que l’art pour y parvenir ?

Difficile de dénicher le concert d’ouverture du festival. Le programme annonçait « Quinto Piso, Calle Venustiano Carranza, 70 ». Mais il a fallu se rendre à l’évidence : cette adresse au cœur du centre historique n’abrite au premier abord qu’un grand parking… Après quelques hésitations donc, un engagement prudent et l’ascension des cinq étages au milieu des automobilistes pressés, le spectateur déterminé arrive toutefois dans un grand espace réaffecté pour l’occasion. Les numéros de stationnements peints sur les murs sont recouverts par de grandes toiles et, en lieu et place des véhicules au repos, quelques enceintes, une batterie, une table de mixage en équilibre précaire sur un escabeau… Le public est déjà là : une petite centaine de personnes pas étonnées le moins du monde d’être réunies au sommet d’un parking. Parmi eux, quelques curieux qui attendent d’un œil mi-amusé, mi-intrigué le lancement du festival, des aficionados, habitués des concerts expérimentaux, qui discutent des mérites comparés des différents concerts prévus, et une ribambelle de musiciens, peintres et photographes qui s’affairent pour régler les derniers détails.

Vers 20h le premier concert commence : Wilfrido Terrazas à la flûte traversière. Pour les oreilles novices, le résultat est surprenant et, il faut bien le dire, plutôt désagréable à écouter. Mais, peu à peu, l’oreille s’habitue. Et quand le concert se termine, on se prend à regretter qu’il ait duré si peu. Cela ne ressemble à rien de connu, et c’est justement cela que recherche Wilfrido : « il faut forcer l’oreille à s’adapter. C’est la démarche de ma musique : maîtriser parfaitement les codes de la musique [le flûtiste a une formation classique] pour en sortir, et ainsi les remettre en question. Rendre le spectateur mal à l’aise, le forcer à sortir de sa zone de confort, pour lui faire découvrir une musique différente et renouvelée. » Pari saisissant mais réussi.

Un trio prend sa place : batterie, sax alto et chant… ou plutôt cri. Ou alors bruit… Difficile de mettre des mots sur ce que l’on entend. Mais une fois encore, on se laisse peu à peu embarquer par cette musique sans rythme ni mélodie. Deux groupes suivent encore : l’un aux lointaines influences balkaniques, l’autre très minimaliste, qui fait des silences une composante centrale de sa musique. La soirée se clôt vers minuit par une déambulation dans l’espace, entre les instruments posés à terre et les tableaux suspendus, avec en bande-son un orchestre à corde improvisé. Violons, altos, violoncelles et contrebasses se répondent d’un bout à l’autre de ce grand parking vide où l’art a remplacé le quotidien, créant un instant suspendu.

L’aventure de Derrepente Enderredor a commencé en 2015, à la Cantina La Reforma. Deux fois par mois, quelques férus de musique expérimentale y invitaient des artistes de la capitale. La fermeture du lieu, loin de décourager les organisateurs, les a décidés à continuer dans leur lancée, en visant un public plus large et en déplaçant leurs concerts dans des lieux inédits (El Quinto Piso, la Casa de la Cultura San Rafael, el Mooi Collective, …). Et la recette a fonctionné. Les fidèles de la Cantina les ont suivi et, rapidement, de nouveaux spectateurs les ont rejoint. Le public va du trentenaire branché au quadragénaire artiste ; non pas la jeunesse dorée de Mexico, loin s’en faut, mais plutôt une nouvelle génération de musiciens, d’étudiants, de photographes, de graphistes…

Le fil rouge, lui, n’a pas changé : attirer le public dans des lieux dédiés à la culture émergente, construire collectivement une pratique de l’art alternative et dirigée vers le plus grand nombre. L’assistance grandissante en témoigne : le projet d’ouverture des murs du festival Derrepente Enderredor a réussi, et nous lui souhaitons bon vent.

©Masiosarey, 2017

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