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Patrick Le Galès: “Mexico est devenue une de mes villes préférées au monde »


A l’occasion du RdV annuel de l’Association internationale de sociologie urbaine à Mexico, la rédaction de Masiosarey a pu s’entretenir avec Patrick Le Galès, doyen de la nouvelle Ecole urbaine de Science Po Paris et directeur de recherche au CNRS. Depuis 2010, le professeur Le Galès vient presque chaque année au Mexique dans le cadre d’un accord de collaboration entre El Colegio de México et Science Po Paris.

 

Qui est Patrick Le Galès ?

Patrick Le Galès est politiste et sociologue, directeur de recherche du CNRS au Centre d’études européennes de Sciences Po et professeur à Sciences Po. Il est le doyen de la nouvelle Ecole urbaine de Sciences Po, où il co-dirige avec Marco Oberti le groupe de recherche « Cities are back in Town ».

Il a fait sa thèse au sein de l’Observatoire sociologique du changement (Université Nanterre Paris X et Sciences Po) et à Nuffield College (Université d’Oxford).

Patrick Le Galès a d’abord travaillé comme chercheur CNRS et enseignant au Crape (IEP Rennes/ Rennes I) et a rapidement multiplié les détachements à l’étranger : à l’Institut universitaire européen de Florence, à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) ou encore à l’Université d’Oxford. Il rejoint le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), avant de s’intégrer au Centre d’études européennes de cette même institution.

Ses recherches comparatives ont pour objet les transformations des villes, de l’action publique et les questions de gouvernance des sociétés européennes.

 

Masiosarey: Quels sont les liens de Science Po Paris au Mexique ?

Patrick Le Galès : Entre le Colmex et Science Po Paris, c’est une vieille histoire, construite sur des liens tissés entre des professeurs qui travaillaient sur l’Amérique Latine de part et d’autre de l’Atlantique. Il s’agit également de deux institutions qui, à l’origine, étaient assez comparables. Comparables en taille, de petites institutions. Comparables aussi en termes de cursus : le Colmex est un peu une grande école, qui forme à la fois à la recherche et à la haute fonction publique.

Science Po est une école qui s’est profondément transformée au cours de ces vingt dernières années. Avec l’arrivée de Richard Descoings à la direction, en 1997, l’école s’est éloignée du modèle traditionnel de "grande école à la française", tournée vers la formation des élites nationales et vers des problématiques de recherche très hexagonales. L’objectif pour Science Po a alors été de devenir une université internationale, dotée d’un vrai pôle recherche et préparant à toute sorte de métiers. A l’heure actuelle, 86% des diplômés travaillent en dehors du secteur public et 50% des étudiants sont recrutés à l’étranger. L’ouverture sur l’étranger est clé dans cette transformation.

Ce bouleversement s’est effectué en deux étapes. Une première étape a été d’envoyer tous les étudiants de troisième année passer un an à l’étranger, tout en internationalisant dans le même temps le recrutement des étudiants de Master. Pour cela, Science Po a renforcé des liens avec environ deux cents universités dans le monde, dont El Colegio de México.

La deuxième étape a été de parier sur la recherche. Et comme l’internationalisation ne peut se réduire à la seule ouverture vers les universités nord-américaines, Science Po et le Colmex ont amorcé une collaboration. D’abord fondée sur des projets ponctuels, cette coopération s’est progressivement structurée, notamment avec la création d’un fonds annuel de 30.000 dollars visant à appuyer des projets de recherche conjoints à nos deux institutions. C’est comme ça que moi je commence à rentrer dans le jeu.

« La collaboration est un peu le fruit du hasard »

Masiosarey: Pour vous, Mexico était une ville importante sur laquelle mener des recherches ?

Patrick Le Galès: Comme je parle peu l’espagnol, Mexico n’était pas pour moi un choix évident. Historiquement, je travaillais sur l’Europe, sur l’Angleterre, l’Italie et la Finlande aussi. Après avoir fait beaucoup de terrain en Europe, j’ai voulu privilégier l’étude des grandes villes à travers le monde. Je me suis d’abord intéressé à Hong Kong. Puis, très vite, j’ai encore ouvert le jeu, en me demandant quelles pourraient être les villes-terrains les plus adéquates pour poursuivre mon travail.

Cette expérience mexicaine est un peu le fruit du hasard. Le représentant de Science Po au Mexique avait organisé, en 2010, une mission à Mexico pour un chercheur français de renom qui, au dernier moment annula. Je l’ai remplacé au pied levé et c’est comme ça que j’ai fait mon premier séjour à Mexico.

A partir de là, le Mexique est naturellement entré dans ma démarche scientifique et institutionnelle. Je m’intéresse aux transformations des sociétés : comment les sociétés sont gouvernées et comment se font les interactions entre les gouvernants et les gouvernés. J’avais depuis longtemps formulé l’hypothèse que la globalisation est un paramètre essentiel de la transformation sociale, et que les grandes villes sont aujourd’hui le lieu central de cette transformation. Cela valait la peine de creuser un peu systématiquement. Mais il fallait le faire en profondeur, avec des chercheurs sur place, sur la longue durée et en privilégiant la dimension comparative. Ce ne sont pas des choses faciles à mettre en place.

J’ai donc commencé à structurer mon équipe à Science Po, en collaboration avec un groupe de recherche basé à Rennes (le CRAPE, IEP Rennes/ Rennes I). Puis, nous avons associé des chercheurs de la University College de Londres. J’avais rencontré à Tokyo, à une réunion de RC21, Eduardo Marques qui dirige une équipe de recherche sur l’urbain à l'Université de Sao Paulo. Le Brésil était dans la boucle. Il restait donc Mexico.

En 2011, je suis revenu une semaine au Mexique, invité par le CIDE (Centre de recherche et d’enseignement économique) et j’y ai rencontré un chercheur du Colmex intéressé par nos thématiques et nous avons répondu ensemble à l’appel d’offre du Fonds Science Po/Colmex.

Masiosarey: Quels sont les fruits de la collaboration entre Science Po et le Colmex ?

Patrick Le Galès: Les échanges entre Paris et Mexico ont eu lieu pendant les trois années qui ont suivi, ponctués par des séjours plus ou moins longs. En 2012, nous avons organisé un premier grand colloque à Mexico, à l’occasion duquel nous avons lancé notre programme WHIG 4 cities (What is governed ?). J’avais fait venir sept français. Il y avait aussi des brésiliens et des anglais. L’année d’après, les chercheurs du Colegio sont venus à leur tour à Paris.

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WHIG What is governed? Comparing 4 cities (Paris, Londres, Sao Paulo et México)

WHIG est un des volets du programme de recherche urbaine Cities are back in town, lancé depuis une dizaine d’années à Science Po par Olivier Borraz, Brigitte Fouilland, Patrick Le Galès, Dominique Lorrain, Marco Oberti et Edmond Préteceille. L’équipe, qui s’est élargie depuis, est très impliquée dans le Master Affaires urbaines de Sciences Po et les programmes de sociologie et de science politique de l’Ecole doctorale de Sciences Po.

Au Mexique, WHIG associe El Colegio de México et le CIDE.

Les principaux axes de recherche sont : a) La spatialisation des inégalités et la ségrégation (économique, sociale, genre, ethniques, éducation, âge); b) le gouvernement et la gouvernance des grandes métropole; c) La socio-économie des villes et des régions; d) Les mobilisations urbaines et les mouvements sociaux; et e) Les mobilités

http://blogs.sciences-po.fr/recherche-villes/a-propos

En 2013, Vicente Ugalde, chercheur au Colmex, est venu passer trois mois à Science Po Paris et a proposé de traduire à l’espagnol le livre que nous avions écrit avec Pierre Lascoumes, La sociologie de l’action publique*. Cet ouvrage a obtenu un grand succès. En 2015, je suis venu un mois au Colmex pour travailler sur un autre livre avec Vicente, cette fois-ci spécifiquement consacré au Mexique, Mexico-Paris. On a fait du terrain et j’ai donné un cours d’été qui a plutôt pas mal marché. Bref, peu à peu nous construisons un corpus de connaissances dont profitent les étudiants. Moi, c’est ce que j’aime dans la recherche : faire plein de choses différentes mais aussi structurer, avec des gens de qualité, des agendas intellectuels, former des doctorants, créer des masters, monter des projets utiles et qui font une différence.

Aujourd’hui, le programme « WHIG What is governed ?” monte en puissance puisque le premier livre sur Sao Paolo devrait paraître après Noel. L’ouvrage sur Mexico est terminé, il sortira d’abord en espagnol puis en anglais. Le premier livre sur Paris devrait également être publié à la fin de cette année, je l’espère, ou au début de l’année prochaine. En 2017, nous amorcerons une nouvelle étape et commencerons à faire des travaux comparés.

« Après six ans d’échanges, il y a une véritable accumulation »

Masiosarey: Quels sont les avantages pour la recherche de l’existence d’un fonds de collaboration entre vos deux institutions ?

Patrick Le Galès: Après six ans d’échanges, nous observons un véritable phénomène d’accumulation scientifique et académique et nous construisons une base commune très solide.

Cette année, les étudiants mexicains avaient tous lu la traduction à l’espagnol de notre livre. J’ai donc pu faire un cours à un niveau beaucoup plus élevé que l’année précédente. Beaucoup de doctorants avaient lu mes travaux sur les instruments d’action publique, sur l’organisation française des compétences et ils avaient des bases assez solides pour suivre des points très avancés sur les politiques publiques ou sur le lien entre la sociologie de l’Etat et les recherches sur la gouvernance. Nous avions des discussions qui étaient d’un niveau de séminaire doctoral plus que d’un simple cours d’été.

De mon côté, je mets de plus en plus d’exemples de Mexico dans mes cours et cela les a bien évidemment fait réagir. C’était un cours formidable, très vivant. Un étudiant de l’année dernière devrait venir faire son doctorat à Paris l’année prochaine. Tout cela devient très intéressant. On commence à voir apparaître un véritable programme de recherche commun, à partir duquel nous allons pouvoir accumuler des travaux empiriques de plus en plus pointus.

Masiosarey: et la suite de cette collaboration ?

Patrick Le Galès: La prochaine étape est de mettre en place un double diplôme entre SciencePo et le Colmex. L’année dernière j’ai rencontré à plusieurs reprises la Présidente du Colmex, Silvia Giorguli. Je lui ai expliqué un peu ce que l’on faisait à Science Po, mon rôle au sein de la nouvelle Ecole urbaine de Science Po, quel était le projet scientifique et intellectuel de cette formation. Et nos convergences sont réelles.

Le premier grand projet est de créer un double diplôme en études urbaines. Il s’agira d’un Master en deux ans, pour lequel nous allons organiser un recrutement spécifique : 15 ou 20 étudiants bilingues, en anglais et en espagnol. Ils passeront un an à Mexico et un an à Science Po Paris. L’objectif est de créer une formation d’excellence sur la question des politiques publiques et des gouvernements des grandes villes latino-américaines. C’est un projet passionnant qui répond parfaitement au projet de l’Ecole urbaine de Science Po et à celui du Colmex.

Masiosarey: En guise de conclusion, qu’est-ce quelle est votre relation avec la ville de Mexico ?

Patrick Le Galès : Lors de mon premier séjour, j’avais visité le centre historique et l’année suivante je n’étais resté qu’à Santa Fe. Je n’étais pas totalement convaincu par la ville. C’est à l’occasion de mon troisième séjour que j’ai commencé à la découvrir vraiment. Et là, je me suis rendu compte que la ville de Mexico est merveilleuse. J’ai marché des dizaines et des dizaines de kilomètres dans México et … j’adore.

C’est une ville qui a de vrais quartiers, très différenciés, que l'on peut parcourir à pied. On trouve un peu partout des petits restaurants, des cafés et la qualité de la nourriture est extrêmement élevée (je ne savais d’ailleurs pas avant de venir qu’il y avait d’aussi bons vins mexicains). Les gens sont ouverts et il est assez facile d’entrer en contact avec les mexicains.

Et puis, surtout, il y a un vrai état au Mexique, qui investit la culture. La richesse culturelle est quand même exceptionnelle. Il y a aussi une grande qualité architecturale. Il y a bien entendu des œuvres moins belles que d'autres, mais le niveau et la densité de l'architecture sont remarquables par rapport à beaucoup d’autres villes que je connais. Bref, cela fait quand même beaucoup d’atouts, tout ça. Mexico est devenue une de mes villes préférées au monde. L’idée est donc de me mettre à l’espagnol et de continuer à y faire des recherches.

 

* Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès, Sociologie de l’action publique, Armand Colin, 2ème edition, 2012, traduit à l’espagnol, Sociología de la acción pública, El Colegio de México, 2014.

Propos recueillis par Masiosarey

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