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Grandeurs et misères de la radio mexicaine. Semaine du 24 au 30 juin 2019


© wix image,2019

Alors qu’un possible enregistrement de la voix de Frida Kahlo vient d’être retrouvé dans la collection personnelle d’Álvaro Gálvez y Fuentes, une des grandes voix de l’âge d’or de la radio mexicaine, l’Institut Mexicain de la Radio, l’IMER traverse une nouvelle tempête. Est-ce la fin annoncée du navire amiral de l’audiovisuel public mexicain?…

La voix de Frida

La nouvelle a fait grand bruit mi-juin. FranceTV Info, CNews, Radio Canada, Le Journal des Arts ou encore Courrier international, annonçaient la découverte, dans les archives de la Fonoteca Nacional, du pilote d’une émission de radio produite et animée par Álvaro Gálvez y Fuentes*, et consacrée à Diego Rivera (1886-1957). Dans ce pilote, une bande son, prise en extérieur, et dans laquelle on entend une voix de femme lire le “Retrato de Diego” (le « Portait de Diego »), un texte écrit par Frida Kahlo en 1949, à l’occasion du 50ème anniversaire de la carrière artistique du peintre mexicain.

Comme le rappellent les médias francophones, il n’existe à ce jour aucun enregistrement de la voix de Frida Kahlo, disparue en 1954. Sa voix reste donc une énigme, et la seule piste disponible est la description faite par la photographe française Gisèle Freund, qui écrivait au début des années 1950 : «Frida fume, rit, parle de sa voix chaude et mélodieuse». Et, justement, explique Pavel Granados, le directeur de la phonothèque nationale, la bande sonore fait entendre une voix féminine et mélodieuse…

La ministre mexicaine de la culture, Alejandra Frausto, qui a annoncé la découverte de l'enregistrement, a toutefois, et prudemment, précisé que la voix de Frida n’était pas encore identifiée à 100% et que les experts allaient poursuivre l’exploration des archives d’Álvaro Gálvez y Fuentes et les comparaisons avec d'autres sources, afin de pouvoir établir avec certitude qu'il s'agit bien de la voix de l'artiste.

Mais les divergences ne se sont pas faites attendre. Plusieurs descendants et anciens disciples de l’artiste, tel que le peintre Arturo Estrada Hernández, affirment ne pas reconnaître Frida. De fait, et comme le rapporte le Guardian cité par Courrier International, cette voix, qui se caractérise par une diction tout ce qu'il y a de plus professionnelle, pourrait bien être celle de l’actrice Amparo Garrido, née en 1929, célèbre au Mexique pour avoir travaillé aux côtés de Pedro Infante et pour avoir prêté sa voix à la Blanche-neige de Walt Disney. Son fils confirme et raconte à Excelsior que celle-ci se rappelle effectivement avoir travaillé avec Álvaro Gálvez y Fuentes dans les années 1950…

Alors, Frida ou pas ? Peu importe, le Mexique et le monde entier ont rêvé en écoutant une voix… que vous pouvez également (ré)entendre sur la page de Courrier International.

Service public et austérité. La fin de l’IMER ?

Mardi 25 juin, changement radical d'ambiance. Une réaction en chaîne ébranle le paysage radiophonique mexicain. Comme le synthétise El Heraldo, c’est d’abord la station de radio Reactor 105.7 –une des mieux positionnée au Mexique précise El Universal– qui indique, qu’à partir du 1er juillet et faute de fonds, elle ne diffuserait plus que de la musique. RMX 98.5 FM informe, elle aussi, devoir se séparer de plusieurs collaborateurs freelance et restreindre en conséquence ses programmes. Un peu plus tard le même jour, le journaliste Ricardo Raphael annonce sa démission, alors qu'il venait d'inaugurer avec l'IMER, l'émission d'analyse quotidienne « Réplicas ». Dans la foulée, le journaliste explique que les coupes budgétaires imposées par le ministère des finances obligent à annuler la production et la diffusion de 2.900 heures de contenus non musicaux dans les 17 stations AM et FM du groupe IMER**.

El Economista revient sur l’ampleur du problème. Au total, ce sont 240 personnes, la plupart ayant un statut précaire, qui –à compter du 1er juillet 2019– ne pourront plus être rémunérées par l’IMER. Le système national d’information de l’IMER (Sistema Nacional de Noticiarios) perdra ainsi un tiers de son équipe (17 de 49 membres), ce qui implique mécaniquement une forte réduction des espaces consacrés à l’actualité. Le programme sportif « Impacto Deportivo » disparaîtra lui aussi. 38 des 53 feuilletons radiophoniques diffusés s’arrêteront également…

Cette soudaine irruption des difficultés de la radio publique mexicaine sur l’agenda national n’est pourtant pas une totale surprise. Dès le début du mois de juin, El Economista sonnait l’alerte. Jorge Bravo, spécialiste des médias et des télécommunications, expliquait dans les colonnes de ce quotidien que le mémorandum présidentiel du 3 mai 2019, stipulant les nouvelles mesures d’austérité républicaine, avait encore aggravé la situation précaire de l’IMER, qui fonctionnait déjà avec un budget amoindri (159 millions de pesos alloués pour 2019, soit 18,7 millions de moins qu’en 2018 et son budget le plus réduit en sept ans). En obligeant les organismes publics à réduire de 50% l’emploi de personnels freelance, écrit Jorge Bravo, le gouvernement asphyxie un groupe fonctionnant en grande partie –et faute de moyens pour proposer des contrats et des garanties stables– sur des professionnels sans statut. En réduisant de 30% les dépenses publiques en communication sociale (spots d’information et campagnes gouvernementales), il prive également l’IMER de revenus additionnels, stratégiques, issus de la vente de ses temps d’antenne. Enfin, en décrétant l’application d’une réserve budgétaire sur l’ensemble du budget de fonctionnement de la fonction publique, le gouvernement fédéral a bloqué le versement d’un peu plus de 11 millions de pesos destinés à l’IMER, plongeant le groupe dans l’impasse financière. Ce mémorandum d’austérité, c’est la mise en oeuvre de l'"Effet Matthieu", constate Jorge Bravo : les pauvres deviendront plus pauvres, et les riches plus riches…

Sursaut et recadrages

Depuis quelques semaines, les déclarations de soutien à la radio se multipliaient sur les réseaux sociaux ; notamment après qu’Horizonte 107.9 FM et 94.5 FM, autres fleurons de la radio publique mexicaine, aient annoncé la fin de plusieurs de leurs émissions, et que d’autres stations AM, dans la CDMX, dans le Michoacán et dans le Sonora, aient fermé définitivement leurs micros.

Mais le 25 juin, et comme le rapportent Eje Central et le site Las Estrellas, le hashtag #IMER_SOS décolle et devient un « trending topic ». Milenio remarque que même la Chambre des députés juge nécessaire de se prononcer sur le sujet, à travers la présidente de la commission parlementaire sur la radio et la télévision, Laura Rojas (député du PAN), qui demande la réassignation de 40 millions de pesos à l’IMER et l’organisation d’une consultation plus large sur la situation des médias publics. Proceso raconte, pour sa part, que le tout récent Conseil Citoyen (Consejo Ciudadano) de l’IMER, constitué par des spécialistes des médias, des professionnels des médias et des représentants de la société civile, a adressé une lettre au président López Obrador, pour l’alerter sur la situation de la radio publique mexicaine. El Heraldo, enfin, rappelle que le président du Système public de radiodiffusion de l’Etat mexicain (Sistema Público de Radiodifusión del Estado Mexicano), le journaliste Jenaro Villamil, réagit lui aussi immédiatement, en réaffirmant l’importance de l’IMER et sa confiance en une résolution rapide de la crise.

La balle se retrouve donc dans le camp du président dès le lendemain matin. Comme le rapportent La Jornada et El Sol de México, et après avoir admis ne pas être au courant de ce dossier, le président se dit prêt à l’évaluer. Car « des erreurs peuvent être commises, mais celles-ci peuvent se résoudre lorsqu’il y a des injustices » (“se cometen errores, pero se pueden resolver cuando hay injusticias”) souligne-t-il.

A partir de là, la machine s’emballe quelque peu. El Economista et Proceso expliquent que le coordinateur de la communication sociale de la Présidence, Jesús Ramirez, promet la libération prochaine, via le ministère de l’éducation nationale (SEP) des fonds alloués à l’IMER au titre du budget 2019, tout en annonçant un recadrage des conditions d’application des mesures d’austérité. Jesús Ramirez, souligne le quotidien, avance également qu’aucun « licenciement » ne devrait avoir lieu (puisqu’il faut plutôt parler d’éventuelles non reconductions de contrat temporaire). Publimetro et El Universal notent cependant la prudence du ministre de l’éducation, Esteban Moctezuma. Pour le moment, précise-t-il (mercredi matin donc), il ignore si son ministère compte effectivement avec ces 11 millions bloqués en début de mois par le ministère des finances (Hacienda), et attend donc la confirmation de ce dernier.

Finalement, Animal Político et El Universal annoncent la libération de… 19.3 millions de pesos en faveur de l’IMER, afin de garantir la continuité des programmes et de l’opération des différentes stations de radio. Ces fonds, expliquent Jenaro Villamil, serviront avant tout à rémunérer les collaborateurs freelance. Epilogue heureux donc que celui résumé par El Sol de México et Proceso, en fin de journée, la directrice générale de l’IMER, Aleida Calleja, a confirmé le maintien des transmissions et a remercié l’intervention du président Andrés Manuel López Obrador, l’appui des fonctionnaires, en première ligne dans cet imbroglio.

La lutte continue

Toutefois, note El Universal, ne nous y trompons pas. Il s’agit d’une trêve. Le problème est, lui, structurel. En 6 ans, l’IMER a perdu plus d’un quart de son budget annuel de fonctionnement. Comme le souligne La Razón, le matériel et les locaux ne sont pas entretenus. Certains studios sont en déliquescence. Et pourtant, insiste le quotidien, les producteurs et les animateurs ont rivalisé de créativité et d’ingéniosité pour poursuivre leur travail. De 2014 à 2017, l’IMER aurait produit quelques 11.000 produits radiophoniques et informatifs, et près de 1.000 produits destinés aux enfants. Des résultats bien supérieurs aux objectifs. Et l’audience suit. De 2012 à 2018, celle-ci aurait augmenté de 40%. Malheureusement, ces efforts ne suffisent plus.

En fin de semaine dernière, la directrice générale a réuni ses équipes pour leur annoncer que l’IMER pourrait à nouveau fonctionner jusqu’en… décembre 2019. Désormais, l’objectif est donc de « blinder » le prochain budget 2020, et d’obtenir au moins 30 millions supplémentaires. Aleida Calleja prépare sa prochaine intervention devant la chambre des députés… Comme le résume El Sol de México, aujourd'hui la question est de (re)définir le modèle de service public mexicain en matière d’information et de diffusion. Une problématique d’autant plus urgente que l’IMER n’est pas le seul groupe dans l’œil du cyclone. Notimex, Canal 11 ou Canal 22 traversent la même tempête.

Pour conclure, nous vous recommandons la lecture de l'entretien accordé par Antoine Saint Michel au quotidien La Razón. L'animateur et promoteur culturel français y contextualise cette crise. Il revient également sur l'émission qu'il anime depuis... 25 ans (!), sur les ondes mexicaines et grâce au soutien de l'Alliance Française, Top France, qui n'aura malheureusement pas survécu à la réorganisation du secteur audiovisuel mexicain impulsée depuis le début de l'année. Une délicieuse page de musique et de radio franco-mexicaine se tourne et nous n'entendrons plus la voix d'Antoine Saint Michel, sur les ondes publiques, annoncer : "Au revoir, hasta pronto y como siempre Portez-vous bien" !

©Masiosarey, 2019

 

* Álvaro Gálvez y Fuentes (1918-1975) fondateur de Radio Educación (1936), animateur et producteur sur Radio UNAM, puis sur XEW, il est l’auteur d’une des premières “radionovelas” mexicaines « Ahí viene Martín Corona » (1948), dans laquelle jouera Pedro Infante. Pionnier de la télévision, il lance également les émissions « Los catedráticos » et « Encuentro ». Fondateur et directeur de la première agence de presse mexicaine Informex, il fonde l’Ecole de journalisme de l’Université Iberoamericana. En 1964, il crée la Dirección General de Educación Audiovisual de la Secretaría de Educación Pública, qui pose les bases de l’INEA. En s’inspirant du modèle italien, il impulse alors le programme de Telesecundaria (toujours en vigueur).

** Créé en 1983, de la fusion de trois sociétés radiophoniques, dont la Compañía Nacional de Radiodifusión, concessionnaire de la radio XEB (la "B Grande"), la radio plus ancienne d’Amérique latine (sur les ondes depuis 1923), l’IMER est un géant de l’audiovisuel public mexicain qui rassemble 17 stations radios analogiques et 39 stations digitales.


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