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Mixtèques. De l'or mais pas seulement! (1) Les matières précieuses
Peu connus du grand public, les Mixtèques, qui se désignent eux-mêmes comme les Ñuu Dzahuis, « les seigneurs du pays de la Pluie », nous lèguent pourtant un patrimoine historique, culturel et artistique d’exception. Rassurez-vous, l’occasion de combler nos lacunes se présente enfin. L’exposition Mixtecos : Ñuu Dzahui, señores de la lluvia (Mixtèques : Ñuu Dzahui, les seigneurs du pays de la Pluie), présentée au Palacio Nacional de la Ville de México depuis janvier, nous offre l’opportunité de voir (ou de revoir) les trésors de la tombe 7 de Monte Albán.
En 1932, la découverte de la Tombe 7 sur le site archéologique de Monte Albán (Oaxca) fut l’une des découvertes archéologiques les plus incroyables du XXème siècle. En effet, elle n'avait pas été pillée et l'archéologue chargé de l'expédition, Alfonso Caso, y découvrit un trésor inestimable. L'exposition du Palais national donne l'occasion au public, qui n'aurait pas eu la possibilité de voyager jusqu'à Oaxaca, de s’émerveiller devant les magnifiques bijoux en or, en turquoise, en coquillage et d’apprécier la qualité exceptionnelle de l’orfèvrerie mixtèque.
Par-delà les trésors, cette exposition permet aussi, et surtout, de mieux comprendre la culture mixtèque : ses origines mythiques à Apoala (là où le couple de dieux créateurs serait né d’une Ceiba sacrée) et sa croyance en un monde souterrain ; mais aussi l’importance du commerce de longue distance ; l’organisation politique avec le rôle prépondérant des alliances matrimoniales (phénomène bien documenté à partir de XIIème siècle) ; ou encore la tradition de l’écriture. Car, et si vous ne le saviez pas encore, les Mixtèques nous lèguent l’un des plus larges corpus au monde de codex précolombiens, au sein duquel on trouve, notamment, la saga de 8-Cerf-Griffe-de-Jaguar (XIème siècle).
D’or et de « chalchihuitl » : les matières précieuses
La célèbre Tombe 7 de Monte Albán... c’est là que 121 objets pesant au total 3.6 kg d’or furent retrouvés en 1932, grâce à une campagne de fouille menée par l’archéologue
Alfonso Caso. C’est peut-être trente fois moins que le poids du sarcophage de Toutankamon (110 kg). Mais les bijoux en or de cette tombe sont d’une beauté à couper le souffle : des anneaux, des broches, des boucles d’oreilles, des pendentifs, des bracelets, des colliers, des bijoux de nez (narigueras en espagnol), de lèvre inférieure (bezotes), rehaussés de multiples ornements, des grelots, des perles, des plaques, des disques, etc. Tous sans exception témoignent de l’extraordinaire dextérité des orfèvres mixtèques.
Les formes et les motifs de ces bijoux s’ancrent dans la tradition alors en vogue en Mésoamérique. Les têtes de serpents à plumes (quetzalcoatl, en nahuatl), l’aigle qui descend (cuauhtémoc en nahuatl toujours) et celui qui s’élève, symbole du soleil naissant (en nahuatl le cuauhtlehuanitl) sont les grands classiques de l’époque. Les orfèvres mixtèques utilisèrent principalement le marteau, la technique dite de la cire perdue, qui repose sur la fabrication d’un moule en argile (voir les études de Niklas Schulze), et celle dite du filigrane (ou plutôt du faux filigrane dans le cas présent).
Et la maîtrise est parfaite. Les trésors de la tombe 7 de Monte Albán montrent aux yeux du monde que les peuples du Mexique antique non seulement savaient travailler la métallurgie, mais avaient également réalisé de véritables prouesses…
Mais attention ! Il s’agit d’une adoption tardive…
En Mésoamérique, en effet, la métallurgie fut longtemps ignorée. On chercherait en vain le précieux métal à l’époque « olmèque » (Ier et IIème millénaires av. J.C) ou au Classique (Ier millénaire ap. J.-C.), que ce soit à Teotihuacán sur les Hauts plateaux du centre du Mexique ou dans les profondeurs de la jungle à Palenque, Bonampak, Yaxchilan, Tikal ou encore à Calakmul.
De fait, les « Mésoaméricains » n’en avaient pas l’usage, puisque leurs armes –principalement des pointes de flèches et des lances– étaient en obsidienne. Par ailleurs, les matières précieuses englobaient une grande variété de matières : les plumes, la jadéite, les chalchihuitls, à savoir les pierres vertes semi précieuses qui ne sont pas du jade (comme la serpentine), le corail ou encore les perles appelées epyolohtli en nahuatl (ce qui signifie littéralement le cœur du coquillage). On trouve plus de deux mille perles dans la tombe 7 de Monte Albán, qui furent perforées et assemblées sur de longs colliers. Le résultat est sublime, même si la technique de perforation apparaîtrait aujourd’hui incongrue, aux yeux des orfèvres modernes. La liste des matières précieuses ne s’arrête pas là : il convient de mentionner aussi les coquillages, les ossements, l’ambre, le cristal de roche, le tecalli, l’azabache… Indépendamment de la grande variété des matières somptuaires en Mésoamérique, les artisans du Mexique antique ont sublimé tout ce qui tombait entre leurs mains.
L’or fit irruption dans la région à partir du milieu du VIIIème, conséquence des échanges commerciaux terrestres et maritimes (via la mer des Caraïbes) entre les Mayas et les cultures Coclé et Veraguas-Chiriqui du Panama et du Costa Rica*. On retrouve des bijoux en alliage d’or et de cuivre dans les principaux sites mayas de l’époque : à Copán, à Ek Balam et bien sûr à Chichén Itzá, dans l’offrande du cenote sacré qui compte, à elle seule, quelques cinq cent pièces en métal.
Mais alors qu’en Amérique du Sud, l’or constitua la principale ressource somptuaire des guerriers et des hauts dignitaires, en Mésoamérique, l’or n’est qu’une matière précieuse parmi d’autres, en témoigne l’extraordinaire diversité de celles-ci dans la tombe 7 de Monte Albán et dans le cenote sacré de Chichen Itza.
©Marion Du Bron, pour Masiosarey 2018
Cette exposition sera présentée jusqu'a la fin juin 2018 dans la Galerie du Palacio Nacional (Plaza de la Constitución 1, Centro Histórico, Metro Zócalo),
Entrée libre, tous les jours (sauf le lundi) de 10h à 17 h
À suivre : Mixtèques. Les Seigneurs du pays de la Pluie (2) les objets votifs en mosaïques de turquoise, le pouvoir des ancêtres et les magnifiques offrandes funéraires de la Dame de Yucundaa…
* Au Panama et au Costa Rica, l’or était apparu à l’aube du Ier millénaire de notre ère, des contacts avec les populations habitants l’actuelle Colombie. Ces dernières avaient elles-même héritées la métallurgie des sociétés andines qui dominaient la technologie des métaux depuis le IIIème millénaire av. J.-C.. C’est donc au Pérou que se trouve le berceau américain de la métallurgie. Et il lui fallut un peu plus de deux millénaires pour atteindre le Mexique.