14 avril 1823...
La jeune nation mexicaine indépendante définit son emblème national.
En matière d’histoire de construction nationale, rien de plus passionnant que les multiples (et subtiles) évolutions de ce blason, dont l’iconographie –il faut le reconnaître– est particulièrement riche.
S'y trouvent l’aigle royal, bien sûr (même si certains soutiennent qu’il s’agissait plutôt, initialement, d’un faucon), dont le regard a pu parfois trahir ses affinités politiques*, la couleuvre d’eau**, le nopal à 5 (ou 6) cladodes chargées de fruits (et, aujourd’hui doté d'autant d'épines que d'entités fédérées). Des éléments auxquels s’ajoutent ou pas, selon les périodes, les eaux de la lagune, les trois coquillages, des couronnes impériales, mais aussi de plus républicaines branches de lauriers et de chênes... En bref, une symbologie extrêmement codifiée et qui, surtout, fera globalement preuve d’une remarquable permanence au fil des siècles et malgré les soubresauts de l'histoire.
En effet, peu d'emblèmes nationaux peuvent se targuer de représenter si explicitement, si officiellement –et sur un temps si long– un mythe fondateur : dans ce cas celui de la création de la ville de México-Tenochtitlan suivant les consignes du dieu Huitzilopochtli (et selon une version du mythe qui se stabilise au XVème siècle***).
Dès le XVIème siècle, l’Aigle et le serpent sont souvent utilisés pour représenter la ville de México et, plus largement, pour distinguer la province du Mexique au sein de l’empire espagnol. Mais il faut attendre l’Indépendance pour que ces symboles, largement adoptés par les insurgés, soient officiellement institués en emblème national et intégrés au Drapeau. L’ordre du 2 novembre 1821 établira les couleurs du drapeau (le vert pour l’espérance, le blanc pour la pureté et le rouge en honneur au sacrifice des héros de la Patrie mexicaine) et imposera l’Aigle sur la bande blanche. Mais les consignes iconographiques restent vagues et, surtout –Régence et 1er Empire obligent– l’Aigle est encore couronné...
C’est donc le 14 avril 1823 que le Mexique, devenu une république, posera les bases de l’emblème national moderne et normalisera son iconographie. Le décret est très précis. L’Aigle mexica, désormais sans couronne, se tiendra sur sa patte gauche, sur un nopal lui même représenté sur un rocher au milieu des eaux de la lagune. De sa patte droite, l’Aigle tiendra un serpent qu’il s’apprêtera à dépecer. L’emblème, dit encore le décret du 23 avril 1823, sera encadré de chaque côté par des branches de laurier et de chêne.
Pendant plusieurs décennies, et malgré les changements de régime, cette définition prévaudra. Sur le principe en tout cas, car sur le terrain les représentations et interprétations sont relativement diverses (et l’Aigle retrouvera brièvement sa couronne sous Maximilien). Porfirio Díaz tente bien de réguler sa reproduction et son utilisation, via une circulaire (celle du 30 décembre 1880) stipulant que le décret du 14 avril 1823 est le seul et unique texte de référence en la matière. Toutefois, comme aucune représentation homologuée n’accompagne cette circulaire et le dit décret, les artistes gardent une certaine marge d'inspiration. Et la période révolutionnaire ne contribuera pas à l’homogénéisation des symboles patriotiques à travers le pays.
Il faut donc attendre 1934 pour qu’un décret ne vienne instituer un nouveau blason, dessiné par l’artiste mexicain Jorge Encino et proposant d’encercler l’aigle et le serpent d’un trait fin et d’y inscrire le nom complet du pays. Mais celui-ci sera peu et inégalement utilisé. L’emblème national du Mexique, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est encore plus tardif. Il date de 1968 et est l’oeuvre des architectes Pedro Moctezuma Díaz Infante et Francisco Eppens Helguera****. Mais, une fois encore, les changements apportés par rapport à la version de 1823 sont mineurs ; cette fois, il s'agit essentiellement de l’introduction de glyphes symbolisant l’eau. Depuis 1984, l’utilisation de l’emblème national est régie par la Loi sur les symboles patriotiques (Ley Sobre el Escudo, la Bandera y el Himno Nacionales), dont l’application est l’attribution de la Secretaría de Gobernación (Ministère mexicain de l’intérieur).
* Pendant la Révolution d’Ayutla et la Guerre de Réforme, les libéraux représentaient l’Aigle tourné vers la bande verte du Drapeau national (vers la gauche). Chez les conservateurs, l’Aigle regardait vers la bande rouge (vers la droite).
** la couleuvre d’eau serait devenue serpent à sonnette à partir de 1916, les couleuvres d’eau du lac de Texcoco ayant toutes disparues.
*** Selon ce mythe, l’épicentre de de la civilization aztèque-mexicas devait être édifié à l’endroit même où un aigle se poserait sur un nopal pour dévorer un serpent.
****Depuis 1917, la Constitution mexicaine prévoit que toute redéfinition de l’emblème nationale doit faire l’objet d’un concours.
La page Wikipédia correspondante au Blason national du Mexique est particulièrement documentée.
Et, si le sujet vous passionne, n'hésitez pas à visiter le Museo Nacional de Historia Castillo de Chapultepec...