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“C’est le moment d’investir au Mexique” (Paulo Carreño King)
Voilà, en essence, ce qui est ressorti, ce 21 novembre 2017, du Forum économique France-Mexique. L’accueil en grande pompe d’une délégation d’une trentaine d’entreprises françaises, menée par Frédéric Sanchez, président du MEDEF International, a été l’occasion de dresser un panorama de la situation macro-économique du Mexique et d’aborder de front l’avenir des différents traités commerciaux auxquels participe ce pays.
« C’est le moment d’investir au Mexique » : la conclusion de Paulo Carreño King, directeur de l’agence PROMEXICO, coorganisateur de l’évènement, a le mérite d’être claire. Les esprits chagrins pourront toujours arguer qu’une telle déclaration n’a rien d’étonnant, venant du directeur d’un organisme chargé de la promotion économique du Mexique. Cependant, et au-delà d’un consensus convenu, les différentes présentations qui se sont succédées ont eu le mérite de mettre à plat les questions qui taraudent les investisseurs français et de renouveler des promesses qui n’en sont pas moins sincères… Petit retour sur l’évènement.
Pourquoi investir au Mexique, maintenant ?
La question semble légitime alors que l’incertitude liée à la renégociation du traité commercial entre les trois pays d’Amérique du nord (TLC ou NAFTA ou ALENA) n’aura échappé à aucun des assistants au Forum économique France-Mexique. Est-ce bien le moment d’investir au Mexique alors que l’Alliance nord Atlantique bat de l’aile ?
A la fin de cette journée, pourtant, un consensus émerge. Personne, évidemment, ne souhaite la sortie des Etats-Unis de l’ALENA. Mais si cela devait advenir, le Mexique, nous assure-t-on, resterait un pays attractif pour les entreprises étrangères. « C’est le moment d’y être » conclura à son tour Frédéric Sánchez (président du MEDEF international).
Pour Frédéric García, directeur général de Airbus Mexico*, au-delà de l’incertitude et de l’instabilité que provoquerait un retrait des Etats-Unis, ce scenario pourrait, aussi, constituer une opportunité. Une opportunité pour le Mexique, de renforcer sa compétitivité. Une opportunité également pour les entreprises françaises : de participer à cette dynamique, mais aussi, précise Frédéric Sánchez, d’investir dans un pays où déjà plus de 500 entreprises françaises sont installées. Pour rappel, les échanges franco-mexicains, en hausse, s’élèvent aujourd’hui à près de 6 milliards d’euros.
Les relations entre les deux pays, après avoir connu un refroidissement sous la présidence de Nicolas Sarkozy, sont donc au beau fixe. « La coopération est ample et la relation politique est excellente » souligne dans son discours de clôture Mme Anne Grillo, Ambassadrice de France au Mexique. Et l’ouverture de la Représentation de l’Ambassade de France à Monterrey, premier bureau de ce type au monde, témoigne de la confiance que la France place en ce pays. « Investissez ici » conclut-elle en direction des entrepreneurs français présents dans la salle ; avant d’assurer que dans ce moment important « la France sera aux côtés du Mexique, indépendamment des échéances des prochains mois ».
« Les nouvelles sont bonnes » (Frédéric Sánchez )
Quelle meilleure manière de rassurer les investisseurs étrangers que d’expliciter la situation macro-économique du pays ? Les fonctionnaires des ministères des finances (SHCP) et de l’agriculture (SAGARPA) ne s’en privent pas. Tout en reconnaissant le chemin qu’il reste à faire, ils dressent un panorama économique plutôt rassurant. Ce que relève d’ailleurs Frédéric Sánchez : « le secteur bancaire mexicain est sain » note-t-il, avant de conclure en fin de journée « Les nouvelles sont bonnes »...
Et elles sont bonnes pour plusieurs raisons, nous explique-t-on. Tout d’abord, « le Mexique n’est plus un pays pétrolier » rappelle Luis Madrazo, chef de l’Unité de planification économique du SHCP, récemment nommé vice-président du Comité de politique économique de l’OCDE (El Economista, 09/11/2017) . En dépit de la chute des revenus du pétrole, qui affecte fatalement l’économie nationale, la croissance se maintient. Luis Madrazo insiste : le taux de croissance a un peu déçu mais, dans le contexte général (adoption de réformes structurelles et chute des revenus du pétrole), la performance est bonne. D’ailleurs, se félicite-t-il, depuis l’adoption des réformes structurelles, le taux de croissance a augmenté. Si l’on exclut le secteur pétrolier des calculs, le taux de croissance se situe entre 2 et 3%. Et ce, dans une période (2015-2016) où la production manufacturière des Etats-Unis a baissé. En matière de création d’emplois et dans le secteur des services, la dynamique est assurée et l’on y trouve des taux de croissance supérieurs à 4%, continue-t-il. Par ailleurs, et depuis 2013, le Programme de consolidation fiscale a réussi à maintenir le déficit public à 2% du PIB. Et, depuis 5 ans, les objectifs dans ce domaine sont tenus, alors que globalement le reste de l’Amérique Latine connaît une détérioration fiscale.
Dans le secteur agro-alimentaire, les résultats sont également encourageants. Raúl Urteaga, Coordinateur général des affaires internationales du ministère de l’agriculture (SAGARPA)** explique que le Mexique s’est hissé à la 12ème place des pays producteurs d’aliments dans le monde. En 2016, le Mexique a frôlé les 30 milliards de pesos en exportations de produits alimentaires et atteindra probablement les 32 milliards cette année ; des chiffres qui suscitent l’admiration de Frédéric Sánchez. Aujourd’hui, résume Raúl Urteaga, l’apport en devises de ce secteur est supérieur à celui du secteur pétrolier, à celui des envois de fonds (remesas) depuis les Etats-Unis et à celui du tourisme, et ce alors que le Mexique est, rappelons-le, le 8ème pays récepteur de touristes au monde.
Enfin, on comprend qu’un ultime moteur de la croissance mexicaine est celui de la consommation intérieure. La dynamique démographique du pays contribue significativement à la bonne santé globale du marché nord-américain, estime Luis Madrazo. Une donnée qui n’a pas échappé au chef de la Délégation du MEDEF, qui renchérit avec une image qui fait mouche : « le Mexique est le navire amiral de l’Amérique Latine ».
Sur le plan économique, le Mexique d’aujourd’hui est donc très différent de celui des années quatre-vingt-dix. Le pays est passé d’une économie essentiellement dépendante de la production d’hydrocarbure, à une économie plus diversifiée. Le secteur industriel est lui aussi en évolution : la production manufacturière, qui était auparavant essentiellement de base, a entrepris sa mutation vers une industrie plus sophistiquée et de pointe, explique Paulo Carreño King, directeur de PROMEXICO.
L’ALENA : réduire l’incertitude
Après ces données encourageantes, les quelques doutes qui pouvaient subsister dans la salle quant à l’incertitude engendrée par la relation actuelle avec les Etats-Unis, seront balayés par le Ministre de l’économie et des finances, Idelfonso Guajardo.
Bien entendu, personne ne souhaite la sortie des Etats-Unis de l’ALENA. Mais les rondes de négociations qui se succèdent sont rudes. Et Luis Madrazo rappelle que si, en janvier dernier, le scénario de la continuité dans la renégociation prévalait, aujourd’hui les feuilles de route sont plus incertaines. Il est cependant acquis que, même en cas de sortie des Etats-Unis, l’ALENA se maintiendrait entre le Mexique et le Canada. Surtout, le représentant du ministère des finances confirme une information qui, depuis quelques mois, apparaît sporadiquement dans la presse spécialisée : l’ALENA n’est plus un accord douanier important.
Et la clé de compréhension de cette situation se trouve du côté de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). « Cette organisation a connu d’énormes avancées ces vingt dernières années en matière de facilitation du commerce internationale. La Chine ou le Japon, par exemple, n’ont pas besoin d’un accord spécifique pour commercer avec les Etats-Unis. Et le Mexique, qui a adhéré à l’OMC dès sa création en 1995, bénéficie au même titre que les autres pays membres des règles commerciales internationales qu’elle promeut et défend. Il est d’ailleurs symptomatique, note Luis Madrazo, qu’aujourd’hui les controverses commerciales qui surgissent entre les partenaires de l’ALENA sont, le plus souvent, résolues... dans le cadre de l’OMC ».
Le ministre de l’économie, Idelfonso Guajuardo, qui à peine sorti de la 5ème ronde de négociations de l’ALENA qui avait lieu le jour-même, a tenu à être présent dans ce Forum, va dans le même sens. « Le Mexique ne peut décidément pas s’asseoir à la table des négociations sans avoir un plan alternatif » assène-t-il. Et, sans l’ALENA, ce seront les règles de l’OMC qui s’appliqueront ; c’est-à-dire des tarifs douaniers calculés dans certains cas selon la clause de la nation la plus favorisée. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : « 50% de ce que le Mexique importe provient des Etats-Unis et seuls 6% de ces 50% (tels que le maïs, blé ou encore les pommes) seraient sujets à des tarifs douaniers spécifiques. Du côté des exportations, seules 20% d’entre elles seraient concernées par de nouveaux tarifs douaniers. Et parmi ces 20%, seuls 4% se verraient appliquer des tarifs douaniers supérieurs à 16%, comme notamment les melons, les pastèques ou les asperges. Un groupe de produits qui aura effectivement besoin d’un plan alternatif ».
Les enjeux actuels de l’ALENA ne se trouvent donc pas tellement dans le réajustement des tarifs douaniers, mais bien ailleurs. Et le ministre avance des pistes pour envisager cette reconfiguration régionale, toutes plus vertueuses. Pour commencer, constate-t-il, « l’Amérique du Nord est confrontée à de nouveaux défis. La croissance doit être durable et incluante. Il faut aujourd’hui repenser le modèle de développement. Il y a un segment de la population pour qui le développement n’a pas été juste ». Autre piste, autre dimension : le ministre reconnaît également une défaillance dans le développement économique mexicain : « La chaîne des PME ne s’est pas consolidée comme elle aurait dû le faire (…) Il faut niveler le seuil de concurrence ». Plus généralement, Idelfonso Guajardo confirme enfin que cet accord doit être actualisé, pour intégrer des chapitres qui sont, au fil des années, devenus prioritaires : un chapitre anti-corruption et de renforcement des institutions, un chapitre sur le commerce en ligne et un autre sur l’énergie. Comme il le rappelle, le Mexique soutient l’idée d’un agenda progressif des accords commerciaux. Oui, « le Mexique soutient le chapitre des droits des travailleurs » explique-t-il, mais souhaite aussi renforcer celui sur l’environnement. « Et, sur ce sujet, nous sommes plus légitimes que certains de nos partenaires du nord ».
Mais la plus grande leçon des négociations actuelles, avoue le ministre, est sans doute de comprendre les positions respectives des partenaires d’Amérique du nord, ainsi que leurs agendas politiques. Les défis de l’intégration pour les Etats-Unis diffèrent de ceux du Mexique. Ce premier connaît depuis des années une perte de sa valeur industrielle, et ce pour plusieurs raisons : les bouleversements technologiques, l’entrée de la Chine dans le marché mondial... Toutefois, la valeur industrielle qui chute le plus rapidement est la production de produits qui ne sont pas associés à l’ALENA. Paradoxalement, souligne Idelfonso Guajardo, l’intégration économique a donc plutôt aidé les Etats-Unis à maintenir leur production industrielle.
Suite à cette explication limpide, quoique partiale (mais n’est-ce pas ici le jeu ?), le ministre assure que son pays est disposé à soutenir le rééquilibrage du commerce dans la région, avant de conclure son intervention sur l’importance pour le Mexique de diversifier ses marchés…
Diversification des marchés et des secteurs de coopération
L’attitude pro-active du gouvernement mexicain pour conclure et rénover différents accords commerciaux vise donc à rassurer des entrepreneurs favorables au libre-échanges. Et ce Forum économique franco-mexicain offre l’occasion de réitérer les bonnes intentions de chaque côté de l’Atlantique. Si le ministre de l'économie évoque la sensibilité du gouvernement auquel il appartient pour la question environnementale, ce n’est pas un hasard au moment où la France s’emploie à prendre le leadership en matière de lutte contre le changement climatique. De leur côté les intervenants français insistent sur le soutien de la France dans la modernisation de l’Accord commercial entre le Mexique et l’Union Européenne.
Même si Raúl Urteaga évoque rapidement les négociations UE-Mexique en cours sur les produits laitiers, il explique que cet accord commercial est essentiel et doit se conclure le plus rapidement possible. « Il existe de nombreuses aires d’opportunité pour renforcer la relation entre l’Europe et le Mexique » estime-t-il.
Une idée que reprend Frédéric García dans son intervention : des secteurs d’opportunité riches et variés, et bien identifiés par le Conseil franco-Mexicain stratégique. Cette instance bi-nationale, qui réunit des personnalités du secteur économique mais aussi des universitaires et des artistes, existe depuis quelques années, mais son rôle vient de se voir re-dynamisé sous l’impulsion du nouveau gouvernement français. Sa mission est de baliser les fenêtres d’opportunité et les secteurs de coopération prioritaires entre les deux pays. Et les secteurs à l’ordre du jour, comme cela sera constamment rappelé pendant cette matinée, sont :
l’aéronautique. Et là, difficile de douter du responsable d’Airbus au Mexique lorsqu’il explique que ce secteur, qui n’existait pas il y a 20 ans, connaît un taux de croissance à deux chiffres ces dernières années.
l’énergie
la construction
le secteur de la santé, sur la base notamment, comme le souligne encore Frédéric García, de projets qui s’inspirent du système d’urgence du SAMU et qui constituent donc une conjoncture favorable et un environnement rassurant pour les entreprises françaises.
le secteur du tourisme
On l’aura donc compris la relation France-Mexique est stratégique dans de nombreux domaines et l’on peut parier que les occasions de se rencontrer seront fréquentes. Et pour ceux qui auraient encore des doutes, Frédéric Sánchez assure ses interlocuteurs mexicains que le MEDEF soutient pleinement la modernisation de l’Accord avec l’Union Européenne.
« Le vrai danger au Mexique ? Ne pas vouloir en repartir» Frédéric García
Pour conclure sur un évènement particulièrement instructif pour les novices en économie et en commerce international, difficile de passer sous silence l’argument massue de Frédéric García pour convaincre les entrepreneurs français de tenter l’aventure mexicaine. Dans une introduction tout en élégance, Frédéric García, responsable d’Airbus au Mexique et résident dans ce pays depuis 18 ans, explique que lorsque les entrepreneurs ou investisseurs potentiels français lui demandent quels sont les risques encourus au Mexique, il répond, cabotin : « le vrai danger au Mexique, c’est de ne pas vouloir en repartir ».
Un clin d’œil à une question qui a été absente des séances publiques de cette réunion et qui pourtant reste probablement le principal frein aux investissements : la situation sécuritaire dans le pays… peut-être l’occasion d’une future rencontre ?
©Masiosarey, 2017
ERRATUM (27/11/2017): Ildefonso Guajardo n'est pas le titulaire du ministère de l'économie et des finances, mais du ministère de l'économie (Secretaría de Economía).