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Santa María la Ribera : nouveau front de gentrification à Mexico
Moins touristique que le Centre historique, moins bourgeoise que Polanco, moins hipster que la Roma-Condesa, le quartier de Santa María la Ribera est malgré tout –ou justement pour toutes ces raisons- une alternative attirante. Forte de sa localisation centrale et d’une identité propre, Santa María est devenue un des quartiers en vue… et les développeurs immobiliers semblent l’avoir bien compris.
Centrale et originale
Même sans connaître ce quartier, vous aurez certainement déjà vu des photos de son kiosko morisco, avec son esthétique très particulière qui évoque l’architecture arabe.
Ce kiosque a été construit par l’ingénieur José Ramón Ibarrola pour être le pavillon du Mexique à l’Exposition Universelle de la Nouvelle-Orléans (1884-1885), puis à la foire de Saint Louis dans le Missouri (1904). Sa structure (en fer) a ensuite été rapportée à Mexico et remontée le long de l’Alameda centrale, dans le Centre historique, à l’endroit même où se situe aujourd’hui l’Hémicycle à Juarez. Lorsque Porfirio Díaz décide de construire cet hémicycle, le kiosque déménage. Et c’est grâce à une pétition des habitants de Santa María la Ribera (qui était alors un quartier tout récemment constitué) que ce monument a été transféré au centre de son square principal. Par la suite, et à plusieurs reprises, les habitants de la colonia s’organiseront pour obtenir des fonds afin d’entretenir et améliorer ce monument. Aujourd’hui, le kiosque sert souvent de décor pour le tournage de scènes extérieures de telenovelas. Il est également apparu sur plusieurs pochettes de disque de groupes musicaux mexicains.
Et ce n’est pas tout ! A l’extrême sud-est de la colonia se situe également le Musée Universitaire du Chopo, dont la structure métallique rappelle les pavillons de Victor Baltard (ceux des anciennes Halles de Paris). Après sa construction, ce bâtiment a accueilli pendant plusieurs années le Muséum d’histoire naturelle de la ville. Aujourd’hui réhabilité et passé sous la tutelle de l'UNAM, il propose des expositions d’art contemporain et un cinéma d’art et essai qui attire des visiteurs de tout Mexico.
Santa María la Ribera bénéficie d’une forte image de quartier traditionnel, réputation peut-être en partie due à l’évocation de ce lieu dans certains romans (dans La frontera de cristal de Carlos Fuentes, José Trigo de Fernando del Paso et dans plusieurs livres de Arturo Azuela). Pourtant, c’était aussi, au début du XXème siècle, un quartier de l’élite où vivaient de nombreux artistes.
Image dégradée
Néanmoins, cette colonia n’a pas toujours eu le vent en poupe. A partir des années 1970, le quartier se paupérise. Beaucoup de familles déménagent dans les nouvelles périphéries pavillonnaires de l’Etat de Mexico et laissent progressivement vacants beaucoup de logements. Son image se dégrade aussi, certains commencent à l’appeler « Santa María la ratera »… Il faut attendre le début des années 2000 pour que la colonia retrouve un certain succès, notamment d’un point de vue résidentiel. La dynamique immobilière dans le quartier s’intensifie progressivement, et on y construit de nouveaux immeubles d’appartement « de lujo ». L’hémorragie d’habitants est stoppée, la population augmente et son image change : Santa María la Ribera commence à se gentrifier !
« La gentrification » ? Mais c’est quoi ça ?
S’il est vrai que le terme n’est pas encore connu de tous, cela fait plusieurs années qu’il a quitté le cercle des spécialistes. Aujourd’hui, on le lit de plus en plus dans des articles de presse qui s’intéressent aux fameux « bobos » ou autres « hipsters ». Très schématiquement, la gentrification d’un quartier correspond à son embourgeoisement, mais avec un « petit truc » en plus : la gentrification ne s’applique qu’à des quartiers centraux anciennement populaires qui présentent un caractère bohème et qui possèdent un cachet architectural. Le bourgeois « classique » n’aura pas donc forcément envie de vivre dans ce type de quartier et pourra préfèrer une grande maison avec jardin en périphérie, dans un quartier fermé. De fait, la gentrification est due à l’arrivée de jeunes gens de classes moyenne et moyenne-haute qui justement ne veulent pas reproduire le mode de vie banlieusard de leurs parents et souhaitent se rapprocher des boutiques, des cafés, des restos, des espaces publics… Bref, un mode de vie plus urbain. Vous connaissez d’ailleurs probablement beaucoup d’exemples de gentrification plus anciens : Belleville à Paris, le Panier à Marseille, la Croix-Rousse à Lyon, Nothing Hill à Londres ou Greenwich Village à New York... Ce phénomène ne cesse de progresser dans toutes les grandes villes du monde et Mexico ne déroge pas à la règle : la Roma, la Condesa, San Angel, Coyoacán, etc.
Mais ce processus, qui rend les quartiers centraux un peu plus « sympas », a un effet violent sur les populations qui y étaient anciennement installées. Le prix des services et des loyers augmente et le tissu social qui existait auparavant s’estompe. Certains habitants n’ont alors pas d’autres solutions que de partir.
Une flambée des prix de l’immobilier
Santa María la Ribera présente tous les critères d’une « cible » à gentrifier : un quartier central, animé, très bien localisé, datant du porfiriato, possédant de nombreuses maisons et immeubles qui, une fois réhabilités, peuvent attirer de nouvelles populations de classes moyennes supérieures. Et c’est ce qui se passe depuis une dizaine d’années. Conséquence : le prix de l’immobilier au mètre carré a presque été multiplié par cinq, passant d’environ 10.000 pesos le m2 en 2007 à 45.000 aujourd’hui.
Ce phénomène ne concerne d’ailleurs pas uniquement Santa Maria la Ribera : la San Rafael, la Cuauhtémoc, la Júarez sont elles-aussi touchées. Même des colonias plus populaires commencent à ressentir cet effet « gentrification », telles que la Guerrero ou la Doctores. Il faudra attendre un peu pour voir si le tremblement de terre du 19 septembre dernier aura des effets sur la fluctuation des prix de l'immobilier et si la dynamique de gentrification de ces quartiers centraux se maintiendra.
Toutefois les habitants ne se laissent pas faire… Une nouvelle sainte est apparue récemment dans ces quartiers : Santa Mari La Juarica ! Son rôle ? Protéger les colonias centrales de la gentrification !
Yann Marcadet pour Masiosarey, 2017